Une erreur génétique a interrompu trop tôt le développement des yeux de Joeri (33), ce qui l’empêche de bien voir. ‘Quand j’avais 3 mois, ma mère et ma grand-mère avaient compris que quelque chose clochait. Je réagissais par exemple à peine aux mouvements lointains et elles trouvaient cela bizarre. Mais le pédiatre de Kind & Gezin n’y a vu aucun problème. Ce fut le point de départ d’une recherche sur ce qui me rendait si différent. J’ai dû subir des tas d’examens. J’ai eu la chance d’aller voir finalement un pédiatre qui connaissait un enfant atteint d’aniridie dans son cercle d’amis. Il a identifié les symptômes.’
C’est un problème auquel de nombreux patients sont confrontés. Peu de docteurs ont une idée de ce que la maladie sous-entend. Un médecin de famille ou pédiatre n’en a pas souvent voire jamais vu. ‘Selon les statistiques d’EURORDIS, les parents sont presque toujours les premiers à remarquer que quelque chose ne va pas. Nous savions finalement ce que j’avais, mais c’était loin de nous donner toutes les réponses. Il n’existe toujours pas de véritable traitement. C’est un peu un emplâtre sur une jambe de bois et j’espère qu’avec tous les médicaments que j’avale, mes yeux n’iront pas plus mal. Mais ma vue s’est détériorée ces dernières années. Je ne sais pas non plus si je deviendrai complètement aveugle. Le docteur ne peut pas donner de pronostic parce que l’affection est imprévisible et complexe. Je ne sais donc pas ce que l’avenir me réserve. C’est la raison pour laquelle j’essaie de saisir chaque moment pour profiter le plus possible de la vie.’
Uniquement une pupille
La caractéristique la plus frappante de l’aniridie est que Joeri a uniquement une pupille, pas d’iris. Toutes les structures de son œil se sont à proprement parler sous-développées pendant l’évolution embryonnaire. C’est la conséquence d’une mutation génétique dans l’ovule de la mère ou le spermatozoïde du père. ‘Je n’ai pas de fonction de grossissement dans mon œil. Pas de filtre, ce qui est normalement la fonction de l’iris. La lumière, les rayons du soleil et les phares des voitures m’aveuglent plus vite. Je dois tout le temps porter des lunettes de soleil à l’extérieur parce qu’une intensité lumineuse risque d’endommager davantage mes yeux. Autrefois, ma vue était de 1 sur 10, aujourd’hui elle est de 5 sur 100. Autrement dit, ce qu’une personne normale voit à 100 mètres, je le vois à 5 mètres. Je vois donc une image globale, mais pas les détails. Je passe à côté du langage corporel, des expressions de visage. Clin d’œil ou sourire : je ne le vois pas. J’ai des lunettes avec loupe intégrée pour regarder la télé. Des lunettes loupes pour lire et une loupe manuelle supplémentaire avec lampe. Sur l’ordinateur, j’ai besoin d’un logiciel d’agrandissement et j’utilise fréquemment un outil en forme de main. Les gens me disent souvent : ‘Je ne vois pas bien non plus au loin, je porte des lunettes’, mais cela ne m’aide pas parce que ma macula (partie centrale de la rétine) est sous-développée. Les gens ne pigent pas que c’est vraiment un handicap. Je ne peux pas conduire une voiture non plus par exemple.’
L’aniridie est congénitale et causée par une mutation dans le gène PAX6. Pour l’exprimer en termes simples, Joeri a une mauvaise version de ce gène dans chaque cellule de son corps. ‘Il y a donc de grandes chances pour que cette anomalie affecte d’autres éléments de ma vue. Des chercheurs américains ont trouvé chez des personnes atteintes d’aniridie un risque plus élevé d’intolérance au glucose et donc de diabète. PAX6 pourrait donc influencer le système nerveux central. Mais de nombreuses autres recherches s’imposent encore dans ce domaine.’
Préjugés
Du plus loin que Joeri puisse se souvenir, il voulait être normal et traité comme tel. Pas d’apitoiement. ‘Cela m’a toujours motivé dans ma vie. Malgré mes limites, je veux participer à la société. Je me suis toujours battu pour ma liberté et mes parents m’y ont toujours aidé. J’ai par exemple longtemps joué au football, jusqu’à ce que ma vue se détériore vraiment. Le football en salle ne me convient plus parce que la largeur de mon champ de vision est affectée. C’est difficile : je dois sans cesse dire adieu à des choses. Je dois accepter qu’il ne m’est plus possible de faire certaines choses.’
Joeri a dû et doit aussi faire face à des préjugés. ‘Les enfants peuvent être cruels. Autrefois, j’ai entendu de nombreuses remarques. Mais je ne me laissais pas faire. J’avais toujours suffisamment d’amis et je m’en tirais bien aussi avec les filles. Mais des enseignants eux-mêmes faisaient parfois aussi des remarques déplacées. À la maternelle, une maîtresse a dit un jour à mes parents : ‘Nous ne le voyons jamais se faire mal, sa vue ne doit pas être si mauvaise que ça.’ À la fin de la primaire, le CLB a conseillé de me mettre dans une école technique. Mes chances de réussite étaient de toute façon minimes. Comme si j’avais aussi un handicap mental. J’ai fait du latin et des mathématiques et obtenu de brillants résultats. Une satisfaction pour moi : montrer à tous ces gens de quoi j’étais capable.’
À partir de l’université, Joeri dut malheureusement mettre un bémol à ses rêves. Sa passion était la chimie, il voulait se spécialiser en génétique. ‘Mais le directeur du collège a estimé que je ne trouverais jamais de travail dans ce secteur. Comme je ne croyais plus en moi, j’ai dû choisir une autre orientation. Ce fut dur à avaler. Un autre rêve auquel je devais renoncer. Finalement, j’ai entamé des études commerciales. Je suis maintenant fiscaliste.’
‘Produit de luxe’
Mais même dans ce secteur, sa carrière ne se déroule pas aussi facilement. Joeri a récemment perdu son emploi dans une grande entreprise. ‘Pas parce que je faisais mal mon travail, mais le fait que je ne puisse pas conduire posait un problème. Je trouve cela très pénible : mon employeur était au courant dès le départ. Mais bon, il faut passer à autre chose. Car chaque centime m’est précieux. Tous les traitements coûtent une fortune. Je dois souvent faire des contrôles chez l’oculiste, ça coûte cher. Je prends des médicaments pour surveiller la tension oculaire et sur ordonnance du médecin, je dois me mettre des gouttes de larmes artificielles sans conservateur dans les yeux. L’Inami ne rembourse pas parce qu’il s’agit soi-disant d’un ‘produit de luxe’. À un moment donné, j’ai dû prendre de l’Avastin, une sorte chimiothérapie à appliquer dans mes yeux pour réduire la néovascularisation avant l’opération. Ce traitement coûte environ 900 euros par mois. Je l’ai suivi pendant 2 mois jusqu’à la préparation d’une opération et j’ai dû payer 1 800 euros. Entre-temps, j’ai été opéré 6 fois sans être remboursé entièrement. Il y a de l’exagération (dit-il en riant).’
Joeri veut changer la sensibilisation à sa maladie. C’est la raison pour laquelle il s’exprime à des congrès et a même fondé une association de patients avec d’autres personnes souffrant d’aniridie en Belgique. ‘Il n’y a rien d’officiel encore, mais nous avons déjà organisé deux symposiums. Nous voulons sensibiliser les gens à cette maladie, mais essayer aussi de veiller à développer la recherche à ce sujet. Une association de patients est importante aussi du point de vue psychologique. Je ne connaissais jusqu’à présent personne d’autre qui avait cette maladie. Vous vous sentez isolé, comme si personne ne vous comprenait. Il y a une centaines de personnes affectées par cette maladie en Belgique. D’où l’appel que nous lançons : envoyez-les-nous.’
Vous pouvez vous adresser par e-mail à Joeri.
Lisez l’interview (Néerlandais) que Joeri a accordée à l’hebdomadaire Dag Allemaal.
Aniridie = ORPHA77
L’aniridie désigne l’absence d’iris, c’est une affection visuelle génétique rare qui se caractérise par un développement incomplet de l’iris, la partie colorée de l’œil qui entoure la pupille noire. D’autres parties de l’œil, comme le nerf optique, peuvent également être sous-développées. Les personnes atteintes d’aniridie peuvent aussi développer d’autres affections oculaires : glaucome, cataracte ou nystagmus, mouvements involontaires du globe oculaire.
L’aniridie est congénitale et affecte une personne sur 100.000, homme ou femme. Les connaissances sont encore incomplètes, notamment sur l’évolution et les éventuels troubles corporels associés.